
Le château d’Agassac, dont Jean-Luc Zell est le directeur, est situé à un quart d’heure de Bordeaux et compte treize salariés. Il est composé de 45 hectares de vigne, de 28 hectares de céréales ainsi que d’un restaurant. Jean-Luc Zell nous explique son parcours, ses choix, et nous décrit avec passion son métier complexe et très enrichissant.
Quel est votre parcours de formation ?
Jean-Luc Zell : J’ai d’abord préparé un baccalauréat D option mathématiques et sciences agronomiques, puis j’ai intégré l’Enita de Bordeaux (aujourd’hui Bordeaux Sciences Agro). L’école proposait une formation spécifique en viticulture œnologie qui m’a immédiatement intéressé. J’y ai obtenu un diplôme d’ingénieur agronome. Après ma troisième année d’école d’ingénieurs, où je me suis spécialisé en viticulture œnologie, j’ai décidé de poursuivre dans cette voie. De ce fait, j’ai complété mon cursus par une formation à la faculté d’œnologie de Bordeaux : j’y ai obtenu un DEA mention œnologie ampélologie, puis le DNO, le diplôme national d’œnologue.
Pourquoi avoir choisi cette filière ?
J.-L. Z. : En seconde, j’ai décidé de suivre une formation agricole. Mes parents ont été surpris, car j’avais de bonnes notes et que ce n’était pas une filière avec une notoriété forte, mais c’est ce que je voulais faire ! J’ai choisi l’agriculture dans un premier temps parce que j’avais un grand-père agriculteur qui m’a transmis l’amour de l’agriculture et du travail de la terre. Je passais mes vacances à la ferme. J’ai découvert la passion du vin grâce à mes parents restaurateurs. Les secteurs de la viticulture et de l’œnologie m’ont plu car ils permettent d’avoir une approche des produits sur la durée. L’intérêt du métier de viticulteur est de travailler une culture pérenne, ce qui est très différent des cultures annuelles. En agriculture, on récolte des céréales et, chaque année, on livre la production. En viticulture, on intègre la production du raisin et l’approche terroir, la transformation du produit jusqu’au marketing et la commercialisation du vin sous sa propre marque.
Quel parcours professionnel avez-vous ?
J.-L. Z. : À l’issue de mon DNO, j’ai d’abord occupé un poste de responsable technique dans une coopérative de la Loire. J’y ai surtout appris ce que l’on n’apprend pas à l’école : la gestion des hommes et de leurs motivations propres. Il était important de se confronter à la réalité : les salariés ne sont pas forcément présents pour se réaliser personnellement mais plutôt dans le but de nourrir leur famille. Je m’y suis adapté et j’ai ainsi pu tirer le meilleur de chacun. Ce fut évidemment un retour à des fondamentaux nécessaire pour un jeune ingénieur. Suite à ce premier emploi, j’ai eu la chance de m’occuper du château d’Agassac : à l’époque, j’avais 29 ans, et cela fait maintenant 23 ans !
Aujourd’hui, quel est votre métier ?
J.-L. Z. : Il a beaucoup évolué : on m’a donné la chance de prendre en main une propriété qui était à l’état de ruine et de la transformer. J’ai d’abord fait appel à mes compétences techniques et de gestion. Ensuite, cela a évolué vers des aspects marketing et commerciaux. Pour réussir à gérer un domaine viticole, il faut évidemment produire de bons vins et toujours rechercher plus de qualité, mais c’est également essentiel de réussir à les valoriser et à les vendre.
Comment avez-vous vu évoluer votre profession ?
J.-L. Z. : En vingt ans, l’approche a changé : elle est à présent plus tournée vers l’aval que vers l’amont. Aujourd’hui, une partie de notre problématique est de créer de la valeur économique et patrimoniale, ce n’est plus uniquement de faire de bons vins en espérant qu’ils se vendent… Il faut être visible, partager notre histoire et nos valeurs humaines, raconter la façon dont nous travaillons et fidéliser les clients qui souhaitent plus que consommer du vin. Pour ces raisons, nous avons développé notre offre oenotouristique. Le domaine possède d’ailleurs son propre restaurant. Aussi, il est possible de privatiser le château afin d’y organiser un mariage ou des séminaires. Lorsqu’un couple se marie chez nous, ou lorsque nous comptabilisons 20 000 visiteurs par an, cela donne encore plus de sens à nos métiers. Aujourd’hui, être vigneron, c’est proposer plus qu’un produit, c’est un partage avec une approche de fidélisation autour de nos valeurs en faisant vivre à nos clients des expériences variées, aussi bien pour les Français que pour les étrangers. Le respect de l’environnement fait également partie de nos valeurs. À cet égard, nous proposons sur le domaine une visite construite autour du développement durable. Chaque acteur du vin, de celui qui taille la vigne aux techniciens en passant par le jardinier et les commerciaux, a un rôle important à jouer dans notre histoire. Nous accordons un grand intérêt au partage de cette richesse aux visiteurs. Il est important qu’ils aient un coup de cœur pour le vin, pour le château et pour les valeurs communes qui nous construisent.
Concernant les contraintes environnementales, avez-vous vu des évolutions ?
J.-L. Z. : Nous réfléchissons et nous réduisons notre impact environnemental depuis le début des années 2000, avec la mise en place de notre système qualité. Nous sommes certifiés Terra Vitis depuis 2003, HVE niveau 3 depuis 2012, et en route vers la RSE. Sur le plan commercial, il a fallu apprendre à communiquer sur notre manière d’aborder le développement durable. Nous souhaitons notamment exposer la manière dont nous réduisons nos intrants ou expliquer notre choix de l’arrêt de l’usage des CMR1, par exemple. Nous considérons aujourd’hui qu’il est essentiel de communiquer autour de ces aspects afin de réduire les peurs et de limiter les malentendus avec nos voisins, nos salariés et nos clients, notamment sur les réseaux sociaux où nous sommes très actifs.
Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui souhaiteraient intégrer votre filière ?
J.-L. Z. : Il faut être courageux, parce que le vin ne se vend pas seul, mais c’est un métier passionnant. Il faut savoir que l’on ne fait pas 35 heures par semaine. Il y a peu de vacances, car notre métier se tourne de plus en plus vers les services. Nous sommes soumis de la même manière qu’un travailleur agricole qui doit s’adapter aux aléas climatiques. Cependant, le secteur viticole offre des débouchés, et nous sommes toujours à la recherche de collaborateurs passionnés, que ce soit dans le marketing, dans le commerce ou dans la technique. Nous avons notamment un souci de recrutement dans les métiers de « gestes » (les tailleurs ou les vignerons hautement qualifiés, par exemple).
SOPHIE SENTY, Cahier Expert Vigne et Vin